Kilo, Méga, Giga

Comment l’informatique a saboté les unités (et pourquoi il est temps de rétablir l’ordre)

Imaginez : vous allez acheter un kilogramme de boudin, vous marchez un kilomètre à pied, puis vous rentrez chez vous pour profiter du ronronnement rassurant de votre radiateur électrique d’un kilowatt.
Voilà des usages clairs, propres, mesurables.
Personne ne vous dit qu’un kilogramme vaut 1 024 grammes. Et si c’était le cas, vous jetteriez probablement votre balance par la fenêtre.
Et pourtant, dans l’univers merveilleux de l’informatique, c’est ce qui se passe tous les jours.

📏 Les vrais préfixes : une base décimale, stable, universelle

Dans tous les domaines scientifiques et industriels — sauf l’informatique — les préfixes du Système International (SI) sont utilisés de manière rigoureuse :

kilo : Symbole : k Valeur : 10³ = 1 000
– 1 kilogramme de pommes de terre
– 1 kilomètre à vélo
– 1 kilowatt pour chauffer votre salle de bains
méga : Symbole : M  Valeur : 10⁶ = 1 000 000
– 1 mégawatt produit par une petite centrale hydraulique
– 1 mégahertz pour une radio FM
– 1 mégapixel pour l’appareil photo de mamie
giga : Symbole : G Valeur : 10⁹ = 1 000 000 000
– 1 gigahertz pour le processeur de votre téléphone
– 1 gigawatt pour une grosse centrale nucléaire
– 1 gigatonne de dioxyde de carbone (pas drôle, mais précis)

Ces unités sont décimales, universelles et non négociables.

🖥️ L’informatique : là où kilo = 1 024 (parce qu’on a décidé que ça sonnait mieux)

Les ordinateurs ne comptent pas en base 10, mais en base 2. Ils aiment les puissances de 2 : 2⁸, 2¹⁰, 2²⁰, 2³⁰…

Ainsi, en informatique :

1 kilooctet = 1 024 octets
1 mégaoctet = 1 024 kilooctets = 1 048 576 octets
1 gigaoctet = 1 024 mégaoctets = 1 073 741 824 octets
1 téraoctet = 1 024 gigaoctets = 1 099 511 627 776 octets

Pourquoi ? Parce que la mémoire, les systèmes de fichiers, les registres, les pages mémoire fonctionnent en blocs binaires.

Mais appeler ça “kilo”, “méga”, “giga”, c’est comme appeler une girafe un « poney allongé » : ça n’a aucun sens logique.

📚 La solution existe : les préfixes binaires

Pour corriger cette dérive, l’IEC a proposé en 1998 des préfixes binaires, totalement officiels :

kibioctet : Symbole : KiB Valeur : 1 024 octets (2¹⁰)
mébioctet : Symbole MiB Valeur : 1 048 576 octets (2²⁰)
gibioctet : Symbole GiB Valeur : 1 073 741 824 octets (2³⁰)
tébioctet :Symbole TiB Valeur : 1 099 511 627 776 octets (2⁴⁰)

✅ Ces unités sont sans ambiguïté.
✅ Elles sont utilisées dans les systèmes sérieux comme Linux, FreeBSD, ou les outils en ligne de commande (e.g. ls, df, free), qui affichent les tailles mémoire en MiB ou GiB.
❌ Elles sont encore ignorées dans le grand public, dans Windows, dans la publicité, chez les fabricants de disques durs.

🕸️ Télécommunications : le domaine qui reste rigoureux

Dans le réseau et les télécoms, c’est le monde décimal qui domine. Ici :

1 Mbps (mégabit par seconde) = 1 000 000 bits/s
1 Gbps = 1 000 000 000 bits/s

Les débits Internet, les interfaces Ethernet (ex. 100 Mbps, 1 Gbps), la fibre, la 5G… utilisent le Système International sans tricher. Pourquoi ? Parce qu’on paie (très cher) pour chaque bit.

👉 Attention à la confusion :

Les débits sont exprimés en bits/s (b minuscule).
Les fichiers sont mesurés en octets (B majuscule).

Exemple :
Une connexion à 100 Mbps = 12,5 Mo/s maximum.
(100 000 000 bits ÷ 8 = 12 500 000 octets)

🔄 Conversions pratiques

Voici un tableau de conversion utile pour s’y retrouver :

1 kB 1 000 octets — 1 KiB  1 024 octets
1 MB 1 000 000 octets — 1 MiB 1 048 576 octets
1 GB 1 000 000 000 octets  — 1 GiB 1 073 741 824 octets

Exemple concret :
Vous téléchargez un fichier de 1 073 741 824 octets.

Linux dira : “1 GiB”
Windows dira : “1 Go”

🧠 Pourquoi il faut être rigoureux (même si c’est pénible)

On pourrait laisser courir. On pourrait continuer à dire « Go » au lieu de « GiB », et tant pis si ça prête à confusion. Mais ce serait :

  • Négliger la pédagogie : comment former correctement des étudiants si les unités ne veulent rien dire ?
  • Introduire des erreurs dans les calculs techniques (compression, bande passante, sauvegardes…).
  • Ouvrir la porte aux abus marketing (comme les disques “1 To” qui n’ont que 931 Go visibles).

Dans un monde numérique, la précision est un devoir, pas un caprice.

Conclusion : appel au bon sens

L’informatique est l’un des seuls domaines techniques à avoir joyeusement piétiné les unités standards.
Par commodité. Par habitude. Par flemme.

Mais il est temps de revenir à plus de clarté :

✅ Quand vous parlez de mémoire, utilisez les préfixes binaires : KiB, MiB, GiB.

✅ Quand vous parlez de débits, restez en SI : kbps, Mbps, Gbps.

✅ Quand vous documentez, soyez explicite : écrivez « 1 GiB (2³⁰ octets) » plutôt que « 1 Go ».

Et si on vous regarde bizarrement, rappelez simplement que 1 kilogramme de boudin = 1 000 grammes, pas 1 024.
Vous, votre boucher vous remerciera.

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